L’INTERÊT DE L’ENFANT un roman de Ian Mac Ewan

Titre original The Children Act Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon

J’ai beaucoup aimé L’intérêt de l’enfant du romancier anglais, Ian Mac Ewan. Le personnage principal en est Fiona Maye, juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Londres. Le roman débute par un crise conjugale entre Fiona et son mari, Jack Maye, universitaire, spécialiste de l’histoire de l’antiquité et de Virgile. Le couple s’approche de la soixantaine et n’a pas d’enfant, car Fiona toute entière occupée de son métier et de sa carrière, n’a pas su trouvé le temps d’en avoir un. Mais, Jack et Fiona mènent une existence agréable et privilégiée, dans un quartier huppé de Londres où résident magistrats et avocats. Nombreuse famille, nombreux amis, nombreuses invitations, une passion pour la musique, vie de couple heureuse, jusqu’à la crise conjugale… Encore séduisante à cinquante-neuf ans, admirée et respectée par ses pairs, pour son exigence intellectuelle et éthique, Fiona a une haute idée de son métier.

Si le roman débute par une crise conjugale, assez rapidement, la profession de Fiona et les lourdes responsabilités qu’elle implique, reviennent au centre du roman. Chaque jour, Fiona est confrontée aux misères et aux passions humaines. Elle doit retirer la garde d’enfants à des parents drogués, alcooliques, violents ou trancher les conflits entre des parents qui se déchirent pour la garde de leurs enfants. Parfois, dans certaines affaires, elle a le pouvoir de décider de la vie ou de la mort des personnes.

Ainsi, à la demande d’un hôpital et contre l’avis des parents, chrétiens fervents, Fiona a choisi d’autoriser une opération chirurgicale, pour séparer deux frères siamois et permettre à celui dont les organes fonctionnent, de vivre, en sacrifiant son frère, incapable de survivre, de toute façon. Un week-end, Fiona est saisie du cas d’un jeune témoin de Jéhovah, mineur de presque 18 ans, atteint de leucémie. L’hôpital demande qu’il soit transfusé en urgence, contre la volonté de ses parents et celle du jeune homme, opposés à la transfusion sanguine, en raison de leurs convictions religieuses. Fiona, contrairement aux usages en vigueur, décide d’aller elle-même rencontrer le jeune homme à l’hôpital, pour apprécier, si son choix de mourir, est bien le sien et s’il n’est pas influencé par ses parents et les membres de la communauté des Témoins de Jéhovah.

Mais, il ne faut pas croire que ce roman est un roman social sur les sujets de société contemporains. C’est un roman psychologique où Fiona et les autres personnages sont dépeints avec une grande subtilité. Simplement, la connaissance approfondie du monde judiciaire et des affaires traitées par un juge aux affaires familiales, dont fait preuve Ian Mac Ewan, apporte au roman un socle très solide et très riche à partir duquel l’histoire peut avancer avec plus de force.

Pour illustrer le roman, voici un extrait où Fiona essaie de définir ce qu’est « l’intérêt de l’enfant », dans l’une des affaires qu’elle doit juger:

 » … l’intérêt de l’enfant, ne se résumait pas en termes purement financiers, et ne se résumait pas au confort matériel. Elle l’envisagerait donc d’un point de vue le plus large possible. L’intérêt de l’enfant, son bonheur, son bien-être devaient se conformer au concept philosophique de la vie bonne. Elle énumérait quelques ingrédients pertinents, quelques buts vers lesquels l’enfant pouvait tendre en grandissant. L’indépendance intellectuelle et financière, l’intégrité, la compassion et l’altruisme, un travail gratifiant par le degré d’implication requis, un vaste réseau d’amitiés, l’obtention de l’estime d’autrui, les efforts pour donner un sens à son existence, et la présence au centre de celle-ci d’une relation significative, ou d’un petit nombre d’entre elles, reposant avant tout sur l’amour.  » Pages 27-28 Editions Gallimard 2015.

Pour finir, le roman accorde une place importante à la musique car Fiona est une pianiste amateur de talent, et son mari, un passionné de jazz. Et, l’auteur, avec érudition et une infinie sensibilité, tel un critique musical, fait découvrir au lecteur, la beauté d’une mélodie de Berlioz ou d’un lied de Mahler.

BILLY WILDER et MOI, un roman de Jonathan Coe

Traduit par Marguerite Capelle
Editions Gallimard 2021

Après avoir aimé « Le cœur de l’Angleterre » de Jonathan Coe, j’ai voulu découvrir, « Billy Wilder et moi », son dernier roman.

« Billy Wilder et moi », est un roman fluide qui se lit agréablement. Billy Wilder (1906-2002) est un célèbre scénariste et réalisateur de films, « maître incontesté de la comédie américaine dans les années 1950-1960 ». De nationalité autrichienne, il a quitté l’Allemagne nazie pour s’installer en France et continuer à y travailler, puis aux Etats-Unis où il a pris la nationalité américaine. Durant sa longue carrière, commencée en 1929, il a reçu de très nombreuses récompenses dont trois oscars du meilleur scénario, deux oscars du meilleur réalisateur et un oscar du meilleur film. « Sept ans de réflexion », « Certains l’aiment chaud » et « Boulevard du crépuscule », comptent parmi ses films les plus connus.

Le roman raconte principalement le tournage en Grèce, de l’avant-dernier film de Wilder, « Fedora » (1978), sur une star de cinéma déchue qui s’est retirée du monde. La narratrice du roman, Calista, d’origine grecque, a dans sa jeunesse eu la chance de rencontrer Billy Wilder et d’être choisie par lui pour être interprète, sur le tournage de « Fedora ». Calista, nous montre les tourments du réalisateur, qui autrefois adulé par Hollywood, est maintenant délaissé par les producteurs, réticents à financer ses films, car ils ne font plus de recettes.

Dans le récit, Jonathan Coe discourt subtilement sur la création artistique, sans prétention, presque « en passant ». Il fait dire à l’un des personnages, un jeune homme qui veut réaliser des films, qu’un créateur est quelqu’un qui a « …quelque chose à dire au monde » et que son œuvre doit être un miroir fidèle, simple et clair du monde environnant, pour rencontrer le public et le toucher. Or, ce n’est plus le cas de Billy Wilder qui à la fin des années 1970, continue à raconter des histoires, au travers d’une esthétique dépassée.

Billy Wilder en a conscience. Il confie à Calista, qu’il n’a pas su faire évoluer son art et adopter les nouveaux codes et les valeurs, des jeunes cinéastes et que les histoires qu’il raconte ne parlent plus aux spectateurs. Lui qui fut le roi d’Hollywood dans les années 1950-1960, ne connaitra jamais plus le succès, un peu comme Fedora, le personnage du film…

Mais Wilder défend aussi son cinéma, car ses films, dit-il, offrent au spectateur « un peu d’élégance, un peu de beauté…un soupçon de joie », car la vie n’est pas toujours belle… Billy Wilder qui a quitté l’Allemagne au début du nazisme et dont la mère est morte déportée, connait les horreurs de la vie. Parce qu’il a connu ces horreurs, il éprouve le besoin de parler de choses légères… Et, Calista, nous montre un Billy épicurien et amoureux des plaisirs simples de la vie, dégustant un fromage de Brie exceptionnel, dans une cour ferme près de Meaux, une soirée chaude de la fin du mois d’août…

Je dois avouer que, mise à part la drôlerie et le charme de Marilyn Monroe, dans « Certains l’aiment chaud », j’ai gardé peu de souvenirs des films de Billy Wilder que j’ai vus, il y a longtemps… C’est dommage, car le roman doit avoir encore plus de sel et de sens pour le lecteur qui connait l’œuvre de Billy Wilder! Je vais regarder ses films en VOD, en pensant au roman de Jonathan Coe.

L’HOMME REVOLTE un essai d’Albert Camus

Collection folio essais Editions Gallimard 1951

Après avoir lu La chute et le Premier homme, j’ai voulu continuer ma découverte de l’oeuvre d’Albert Camus en lisant L’homme révolté. Camus considérait cet essai publié en 1951, comme son ouvrage le plus important.

Dans ce livre très érudit, Camus analyse les sources idéologiques des doctrines totalitaristes du XXème siècle. Il montre comment, notamment, la pensée des philosophes allemands du 19ème siècle, Hegel, Nietzche, Marx, a été utilisée et dévoyée par les révolutionnaires, pour aboutir au nihilisme et aux idéologies totalitaristes (communisme russe, fascisme, nazisme). En effet, les philosophes allemands du 19ème siècle, en voulant faire échapper l’homme à la sujétion divine et à la morale formelle (morale hypocrite et bourgeoise, masque de l’exploitation des plus pauvres par les plus riches) ont malgré eux contribué à la création du nihilisme et du totalitarisme.

Pour Camus, les révolutionnaires du XXème siècle ont tiré de Hegel, l’arsenal idéologique qui a détruit définitivement les principes formels de la vertu. Ils en ont gardé la vision d’une histoire sans transcendance, résumée à une contestation perpétuelle et à la lutte des volontés de puissance.

Camus condamne sévèrement les régimes totalitaires nés des révolutions et notamment le régime communiste russe : propagande, délation, être humain transformé en chose, légitimation du meurtre. La révolution, en voulant faire échapper l’homme à la sujétion divine et à la morale formelle a renoncé à toute revendication morale et a accepté le meurtre et l’a légitimé. Alors, Camus théorise l’opposition entre la « révolte » et la « révolution césarienne » et choisit la révolte. Le combat pour la justice et pour la liberté est à la racine de la révolution et de la révolte. Mais le révolté, pour lutter contre l’injustice, le mensonge et la violence qu’il subit, ne peut accepter de tuer ou de mentir car il détruirait les raisons de sa révolte. Albert Camus réhabilite les valeurs de la morale formelle et de l’esprit de mesure.

La révolté, non plus ne revendique nullement une liberté totale. La liberté absolue n’est que le droit pour le plus fort de dominer. La liberté la plus extrême, celle de tuer n’est pas compatible avec la révolte. La révolte au contraire ne vise qu’au relatif et ne peut prétendre qu’à une justice et une liberté relative. Et Camus termine en faisant l’éloge de la mesure et de la pensée des limites.

L’homme révolté est une œuvre singulière et puissante inspirée peut-être en partie à Camus par son action de résistant. L’auteur y mène une démonstration rigoureuse en s’appuyant sur les ouvrages des principaux penseurs du 18ème et 19ème siècle. Etonnamment, Camus si rigoureux, si soucieux d’exactitude et d’objectivité, dans sa démonstration de la mystification révolutionnaire, termine son livre par une envolée lyrique, exaltant les vertus méditerranéennes (courage, mesure) en les opposant à l’exaltation et aux rêves allemands. Mais à travers ces dernières pages enfiévrées, il réaffirme sa foi en la lutte contre l’injustice et en la solidarité entre les hommes.

Finalement, sa réflexion contre les totalitarismes, son refus des extrémismes, son éloge des valeurs morales et de la mesure allaient à contre-courant des idées dominantes de son époque où une partie importante des intellectuels français, en tout cas les plus médiatiques et influents, étaient séduits par les idéologies d’extrême gauche nées du marxisme ou par le communisme. On sait que Camus a été isolé après la publication de ce livre qui avait été mal reçu par Jean-Paul Sartre et l’équipe de la revue des Temps modernes. A la demande de Sartre, Francis Jeanson publia d’ailleurs un article sur L’homme révolté qui brouilla les deux hommes.

Camus a été un intellectuel courageux, honnête et lucide. Une reconnaissance internationale et prestigieuse lui est venue de l’étranger, lorsque le Prix Nobel lui a été décerné.

L’IDIOT un roman de Fiodor Dostoïevski

Ma nièce m’a offert, L’Idiot, un roman de l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski,  (collection Babel, traduction d’André Marcowicz). L’Idiot a été publié en feuilleton en 1868 et 1869, dans le Messager russe.

Le roman met en scène des personnages extrêmes, vivant des passions exacerbées et destructrices.  D’une grande densité, il avance de façon un peu chaotique au travers de scènes où les personnages, réunis en société, livrent et exposent longuement et sans retenue leurs pensées et leurs sentiments, crûment, sans crainte du jugement des autres.

Le personnage principal, est le prince Mychkine, âgé de 27 ans, « l’idiot », car dans sa jeunesse, il a gravement souffert d’épilepsie. Son honnêteté, sa sincérité, sa maladresse le rendent un peu impropre à la vie en société, où il ne peut taire ce qu’il pense ou ressent. Si sa sincérité l’isole des autres, il sait pourtant se faire aimer et apprécier, à cause de ces mêmes qualités. Il impressionne aussi par le sérieux de sa pensée. Surtout, il est plein de compassion et ressent intensément la souffrance des autres.

La société du roman où évolue le prince est mélangée. On y trouve des aristocrates propriétaires terriens, un général bien installé dans la société, sa femme et leurs filles, éduquées, cultivées et indépendantes, un usurier, des étudiants pauvres, des oisifs, un général alcoolique et déclassé, un jeune homme phtisique influencé par le nihilisme,…

Le noeud du roman est l’amour du prince Mychkine et de Parfione Rogojine, un homme vivant dans l’immédiateté d’une passion destructrice, pour la même femme, Nastassia Filipovna. D’une grande beauté, abusée adolescente par son riche tuteur, Nastassia exprime son dégoût et sa révolte, par un comportement paroxystique et scandaleux. L’amour du prince est indissociable de la compassion qu’il éprouve pour elle. En avançant dans le récit, le prince tombera également amoureux, d’Aglaïa, la plus jeune fille du général, très belle, audacieuse, orgueilleuse et idéaliste.

Le lecteur découvre la société russe contemporaine de Dostoïevski et les tensions qui la traversent comme le nihilisme, idéologie révolutionnaire socialiste. Ces réunions d’amis ou de connaissances en société, qui constituent la plus grande partie du roman, sont également le lieu de débats d’idées passionnés. Le prince qualifie le nihilisme de dépravation de la pensée car le révolutionnaire nihiliste, méprise toute morale et attache familiale et justifie le meurtre. Le premier attentat terroriste contre le tsar Alexandre II sera perpétré par un étudiant adhérant à cette idéologie. Le prince oppose aussi la Russie profondément religieuse à l’Occident athée.

Les personnages sont en proie à des passions tellement extrêmes, qu’ils échappent à une analyse rationnelle et psychologique, une part d’obscurité demeure en eux.

La fin extraordinaire du roman, d’une insoutenable intensité, en fait ce chef d’œuvre universellement reconnu de la littérature russe. Ce petit article ne prétend pas bien-sûr résumer ce roman si dense et si riche, mais seulement donner envie aux lecteurs de le lire ou de le relire.

L’AMOUR AUX TEMPS DU CHOLERA un roman de Gabriel Garcia Marquez

Gabriel Garcia Marquez et sa femme Mercédès Barcha

Mon neveu m’a offert L’amour aux temps du choléra. J’avoue que depuis le choc et l’émerveillement de Cent ans de solitude, je n’ai lu aucun autre roman de Gabriel Garcia Marquez.

J’ai lu Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez quand j’étais étudiante et j’ai le souvenir d’une sorte de parenthèse heureuse de quelques jours, pendant laquelle j’attendais avec impatience, le moment de me replonger dans le roman et son univers poétique et ensorcelant. Pourtant, je ne l’ai jamais relu ensuite et je ne me rappelle plus vraiment du récit raconté par Garcia Marquez, seulement de la phrase leitmotiv « Bien des années plus tard, face au peloton d’éxécution, le colonel Aureliano Buendia, devait se rappeler… » et du récit surréaliste et drolatique d’un filet de sang qui effectue un trajet improbable, mu par une énergie irréelle.

L’amour au temps du choléra est un roman sur l’amour fou. Il raconte l’amour fou d’un jeune homme, Florentino Ariza, pour une jeune fille Fermina Daza, avec laquelle pourtant il n’a échangé que quelques paroles. Cet amour continuera à guider toute sa vie, même après que Fermina se sera mariée avec un autre homme. Le thème de l’amour fou porte en lui, la démesure romanesque et délirante, caractéristique de l’univers de Garcia Marquez.

Le roman semble écrit au fil de la plume avec des digressions qui emmènent le lecteur sur des chemins parfois déconcertants et qui font un peu perdre le sens du récit. Mais au milieu de cette fantaisie poétique et tout le long du roman, l’auteur nous parle avec sérieux de l’amour, du mariage, du couple, de la force du lien qui unit les vieux couples. Le roman trouve également son unité dans l’exubérante écriture poétique et imagée de Garcia Marquez qui crée cette sorte « d’enchantement baroque », caractéristique de son œuvre.

Et voici quelques extraits du livre, illustrant l’écriture, si personnelle de l’auteur (Livre de poche- Grasset-Edition 38- Septembre 2020) :

page 263 Mais à l’instant crucial de sa vie, elle déposa les armes, sans tenir compte le moins du monde de la beauté virile du prétendant, ni de sa richesse légendaire, ni de sa gloire précoce, ni d’aucun de ses nombreux et réels mérites, chavirée par la peur de l’occasion qui s’en allait et par l’imminence de ses vingt et un ans, sa limite secrète pour se livrer au destin.

page 264 Alors, tous les doutes se dissipèrent et elle put accomplir sans remords ce que la raison lui signifiait comme le plus décent : sans une larme, elle passa l’éponge sur le souvenir de Florentino Ariza, l’effaça tout entier, et laissa un champ de marguerites fleurir à la place qu’il occupait dans sa mémoire.

page 326 Mais elle essuya ses mains comme elle le put à son tablier, se refit comme elle le put une beauté, en appela à toute la fierté dont sa mère l’avait dotée en lui donnant le jour afin de mettre de l’ordre dans son cœur affolé, et se dirigea vers son homme de sa douce démarche de biche, la tête bien droite, le regard lucide, le nez en guerre, reconnaissante au destin de l’immense soulagement de rentrer chez elle […] elle repartait heureuse avec lui mais décidée à lui faire payer en silence les amères souffrances qui avaient gâché sa vie.

Comme Garcia Marquez s’attarde souvent dans le récit sur les relations au sein du couple, j’ai choisi une photo de l’écrivain et de sa femme, Mercédès Barcha, pour illustrer l’article. Et puis, peut-être Mercédès a-t-elle inspiré à l’auteur, la description de Fermina Daza et de « son magnifique profil de grive » (page 175) et de « [ses] beaux yeux lancéolés » (page 328)!

LA CHAMBRE DES DUPES un roman de Camille Pascal L’ANOMALIE un roman d’Hervé Le Tellier

Ma famille m’a offert plusieurs livres pour Noël. J’ai choisi de lire d’abord, les nouveautés, récemment publiées, pour découvrir des auteurs que je n’avais pas encore lus.

La chambre des dupes est un roman historique de Camille Pascal, racontant la conquête du roi Louis XV, encore jeune, par Marie-Anne de Mailly-Nesle, duchesse de Châteauroux, issue d’une des plus anciennes familles de la noblesse française. Un avertissement de l’éditeur apprend au lecteur que les faits rapportés dans le roman sont rigoureusement exacts et que l’intégralité des dialogues est tirée des mémoires et témoignages du temps.

Ambitieuse, sure de sa séduction et sans scrupule, Marie-Anne vend chèrement ses charmes au roi, très amoureux d’elle, pour devenir sa favorite. L’oncle de Marie-Anne, le duc de Richelieu, figure célèbre du 18ème siècle, diplomate, maréchal de France, libertin, lui prodigue ses conseils pour l’aider dans son entreprise de conquête. La correspondance entre la nièce et l’oncle dont des extraits sont repris dans le roman, est d’un rare cynisme. Le cardinal de Fleury, principal ministre de Louis XV de 1726 à 1743, après avoir été son précepteur, est également l’un des acteurs du roman. Homme modéré, très âgé au moment de la liaison du roi avec Marie-Anne, il défend l’intérêt du royaume et recherche la paix et la stabilité européenne.

Avec ce roman érudit, j’ai révisé mon histoire de France et découvert une période du règne de Louis XV. C’est ce qui m’a plu. L’élégance de la langue est également séduisante. Mais, l’intrigue amoureuse et ses différents épisodes révèle une société cynique et des personnages uniquement préoccupés de leurs avantages et de la faveur du Roi. Marie-Anne, la favorite, la première. Il est donc difficile pour le lecteur, en tout cas pour moi, de s’attacher à eux et d’être emporté par un récit, dévoilant sans fard, tous les calculs et toutes les manoeuvres des principaux protagonistes, toujours au service de leurs intérêts personnels.

L’Anomalie est un roman d’Hervé Le Tellier qui vient de recevoir le prix Goncourt 2020. Le roman réunit plusieurs personnages sans lien entre eux mais qui vont avoir en commun de vivre le même évènement extra-ordinaire, au sens propre, en voyageant dans le même vol Paris-New-York. Le roman s’apparente à un livre de science-fiction. Je n’en dirai pas plus pour que vous en ayez la surprise. Cet évènement complètement improbable qui bouleverse la vie des personnages, amène chacun d’entre eux à se remettre en question et à poser un regard neuf sur lui-même et les autres. Et il leur permet de vivre des expériences hors du commun et bouleversantes avec leurs proches.

Le roman est intelligent, drôle, impertinent. Néanmoins, je dois avouer que je bute sur l’invraisemblance de « l’Evènement », pour y adhérer totalement. Je dois être trop rationnelle ou terre à terre.

Pour terminer, voici un court extrait illustrant la drôlerie et l’impertinence du livre: « A quarante-trois ans, dont quinze passés dans l’écriture, le petit monde de la littérature lui parait un train burlesque où des escrocs sans ticket s’installent tapageusement en première avec la complicité de contrôleurs incapables… ».

GUERRE ET PAIX un roman de Léon Tolstoï

Photo de Léon Tolstoï à l'âge de 20 ans
Photo de Léon Tolstoï à l’âge de 20 ans en 1848

J’ai lu Anna Karénine, quand j’étais au lycée et j’ai adoré ce roman qui reste l’un de mes préférés. Cet été, je me suis décidée à lire Guerre et Paix. Parler de ce chef d’oeuvre universel n’est pas facile, mais je vais essayer d’en partager ma lecture.

Guerre et Paix est un roman historique dont l’action se déroule en Russie, pendant les guerres napoléoniennes. La guerre et les événements historiques sont étroitement mêlés à l’action romanesque. Ainsi, des personnages historiques tels que Napoléon 1er, le Maréchal Koutouzov, le tsar Alexandre 1er sont des acteurs du roman aux côtés des personnages fictifs créés par Tolstoï.

Comme tous les grands écrivains, et il est l’un des plus grands, Tolstoï a cette capacité à comprendre l’âme humaine et les ressorts les plus intimes de nos comportements. Le lecteur partage la vie des principaux personnages du roman sur une période allant de 1805 à la fin des années 1810 : le comte Pierre Bézoukhov, le prince André Bolkonski et sa soeur, la princesse Marie,  la comtesse Natacha Rostov et son frère, le comte Nicolas… dont les vies seront bouleversées par la guerre. Nous découvrons la personnalité de chacun. L’ambition noble du prince André, la pureté de Marie, la confiance en la vie de Natacha, les questionnements existentiels de Pierre, l’honnêteté de Nicolas… L’extraordinaire sensibilité de Tolstoï et son don d’empathie lui permettent de dépeindre avec une infinité de nuances, leurs sentiments, leurs pensées, leurs aspirations, leurs bonheurs, leurs malheurs…

Il donne chair et vie à chacun d’entre eux. Toute la complexité des facettes de l’âme humaine est dévoilée.

La préoccupation morale semble toujours au cœur de la pensée de Tolstoï. Un peu misanthrope, il peint avec sévérité, presque avec douleur, tant son exigence de droiture est grande, une société aristocrate uniquement préoccupée de son intérêt personnel, sous une apparence raffinée et éduquée. La clairvoyance de Tolstoï, sa capacité à démonter les ruses du jeu social et de l’hypocrisie donnent vie à des portraits d’une merveilleuse finesse et profondeur. Par exemple, voici le portrait du prince Basile:

Le prince Basile ne dressait point ses plans à l’avance. Il pensait encore moins à faire du mal aux gens pour en tirer quelque avantage. C’était tout simplement un homme du monde qui avait eu des succès et s’était fait une habitude de ses succès. Suivant les circonstances, suivant ses relations, les combinaisons les plus diverses s’échafaudaient dans sa tête sans qu’il s’en rendit compte lui-même encore qu’elles constituassent tout l’intérêt de son existence. […] Il ne se disait pas, par exemple : « Voici tel ou tel personnage au pouvoir; il me faut gagner sa confiance et me faire décerner une belle gratification. » Il ne se disait pas non plus: « Voilà que Pierre est devenu riche; il faut que je lui fasse épouser ma fille pour lui emprunter les quarante mille roubles dont j’ai besoin. » Mais que le personnage influent se présentât, son instinct lui disait aussitôt que cet homme pouvait lui être utile; il se liait avec lui et à la première occasion, sans préméditation aucune, il le flattait, prenait un ton familier, lui touchait un mot de ses petites affaires.

Tolstoï est passionné par l’histoire et singulièrement par les guerres napoléoniennes. Pour un lecteur français, il est intéressant d’avoir un point vue russe, sur ces guerres. On apprend notamment que l’arrivée de l’armée française sur le sol russe et son entrée dans Moscou, ont entraîné dans le pays un sentiment patriotique qui a renforcé l’identité nationale. La campagne de Russie est d’ailleurs appelée en Russie, la « guerre patriotique ». Les faits historiques racontés dans le roman sont très documentés. Tolstoï cite souvent le livre d’Adolphe Thiers « Histoire du consulat et de l’empire », au sujet duquel, il est pourtant assez critique. Il reproche en effet aux historiens de présenter l’action des gouvernants ou des « grands hommes », comme le moteur principal de l’histoire. Tolstoï, conteste avec véhémence cette analyse, et développe longuement, très longuement, une théorie déterministe de l’histoire, au détriment de la partie romanesque du roman! Et le lecteur doit patienter avant de savoir ce qui va arriver à ses chers héros, Marie, Nicolas, Natacha, Pierre, André..!

De nombreux dialogues du roman sont écrits en français. En effet, au 18 ème et 19 ème siècle, la langue française était la seconde langue des aristocrates russes lesquels s’exprimaient couramment dans notre langue, au quotidien. On a un peu oublié aujourd’hui la place qu’occupait la culture française en Russie, à cette époque. Cela n’empêche pas bien-sûr Tolstoï, dans ce contexte de « guerre patriotique », de décrire sévèrement Napoléon et les français. Pour illustrer cette francophonie et francophilie de l’aristocratie russe, je joins le fichier d’un enregistrement de la voix de Léon Tolstoï, réalisé en 1908. Tolstoï y parle un français parfait et émouvant.

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Tolsto%C3%AF

Pour conclure, quand on parle de la Russie, je pense d’abord à Tolstoï, et à la littérature russe.

LE PREMIER HOMME un roman autobiographique d’Albert CAMUS

Collection Folio, Editions Gallimard Février 2018

« Le premier homme » est un roman inachevé d’Albert Camus, dont le manuscrit a été trouvé dans la voiture où il est décédé lors d’un accident de la route, en 1960. L’œuvre a été publiée trente-quatre ans après, en 1994, à l’initiative de sa fille, Catherine Camus. D’inspiration autobiographique, « Le premier homme » est le récit de l’enfance et de la jeunesse en Algérie, de Jacques, alter ego de Camus. Ce texte magnifiquement écrit nous touche profondément car Albert Camus y livre des choses très personnelles sur lui-même et sa famille.

Albert Camus est né dans une famille pauvre, sa mère et sa grand-mère maternelle étaient analphabètes. Sa mère était en partie sourde et son oncle maternel, à demi-muet. Son père, élevé en orphelinat, est mort dès le début de la guerre 1914-1918, un an après la naissance d’Albert.  Au début du livre, Jacques, qui n’a pas connu son père, essaie de découvrir l’homme qu’il était. Ce père est mort si jeune que sa mère et ses proches en ont gardé peu de souvenirs et lui en ont très peu parlé.  Son destin tragique, mort et enterré en France métropolitaine, loin des siens et de l’Algérie où il est né, fait prendre conscience à son fils de l’abîme qui les sépare. Lui, Jacques (Albert Camus), prix Nobel de littérature, auréolé de gloire, et son père, anonyme parmi les anonymes.  En même temps, il regrette de n’avoir pas eu de père pour le guider et l’aider à se faire une place dans un monde dont il ne connaissait pas les codes. Car, il lui aura fallu une formidable volonté et un formidable appétit de vivre, pour y réussir, grâce au commencement, à l’école et à l’appui de son instituteur.

L’auteur s’interroge aussi sur la sincérité de sa vie d’intellectuel, admiré et reconnu dans le monde entier, vie qu’il a voulue de toutes ses forces. Il paraît penser que sa mère, si humble, et sa famille, sans culture, ont eu une existence plus authentique et respectable que la sienne, malgré sa réussite éclatante et l’énergie qu’il a déployée pour défendre les valeurs qui lui semblaient justes.

Cependant, ce que je préfère dans « Le premier homme » est la partie consacrée aux souvenirs de l’enfance algéroise de l’auteur : sa famille, l’école, ses camarades de jeu, la beauté grandiose de l’Algérie… Car, au final, il garde le souvenir d’une enfance heureuse, au sein de cette famille modeste dont la principale tradition est le travail, pour survivre. Albert Camus parait toujours à la recherche des mots et de l’expression qui lui permettront de faire renaître ses sensations d’enfant, avec la même intensité qu’autrefois. Les pages consacrées aux dimanches où il accompagnait son oncle et les amis de celui-ci, à la chasse, sont d’une beauté inoubliable. Camus nous y raconte le bonheur total d’une vie simple, de la camaraderie, du partage entre amis, de l’envoûtement de la nature, du bien-être qui suit l’effort physique… En voici un extrait:

« Jacques apprit dans ces dimanches que la compagnie des hommes était bonne et pouvait nourrir le cœur. Le train s’ébranlait puis, prenait sa vitesse avec des halètements courts et de loin en loin, un bref coup de sifflet endormi. On traversait un bout du Sahel et, dès les premiers champs, curieusement, ces hommes solides et bruyants se taisaient et regardaient le jour se lever sur les terres soigneusement labourées où les brumes du matin trainaient en écharpe sur les haies de grands roseaux secs qui séparaient les champs.[…] L’horizon vert rosissait, puis virait d’un seul coup au rouge, le soleil apparaissait et s’élevait visiblement dans le ciel. Il pompait les brumes sur toute l’étendue des champs, s’élevait encore et soudain, il faisait chaud dans le compartiment, les hommes enlevaient un chandail, et puis l’autre, faisaient coucher les chiens qui s’agitaient eux aussi…[…] Alors, commençait pour Jacques une ivresse dont il gardait encore le regret émerveillé au cœur.[…]. On installait une vague table avec des torchons, et chacun sortait ses provisions. Mais Ernest, qui avait des talents de cuisinier […], préparait de fins bâtonnets qu’il taillait en pointe, les introduisait dans des morceaux de la soubressade qu’il avait apportée, et sur un petit feu de bois, les faisait griller jusqu’à ce qu’ils éclatent et qu’un jus rouge coule dans les braises, où il grésillait et prenait feu. Entre deux morceaux de pain, il offrait les soubressades brûlantes et parfumées, que tous accueillaient avec des exclamations et qu’ils dévoraient en les arrosant de vin rosé qu’ils avaient mis à rafraîchir dans la source. Ensuite, c’étaient les rires, les histoires de travail, les plaisanteries que Jacques, la bouche et les mains poisseuses, sale, épuisé, écoutait à peine car le sommeil le gagnait. Mais en vérité, le sommeil les gagnait tous [ …]. Pages 122, 123, 125, 127 Collection Folio Editions Gallimard Février 2018. »

Le sentiment de plénitude qui irradie ces pages fait penser à celui qu’on retrouve dans celles de « La Gloire de mon père » ou du « Château de ma mère » de Marcel Pagnol, quand Marcel raconte ses vacances à La Bastide Neuve, dans le village de la Treille.

Albert Camus évoque aussi dans le récit, le début de la colonisation de l’Algérie, avec l’arrivée des premiers colons français au milieu du 19 ème siècle, dont son père descend, l’hostilité des arabes dépossédés de leur pays, la brutalité de certains colons à leur égard…

J’ai lu ou entendu que John Ford aurait dit « Pour atteindre l’universel, il faut être personnel ». Et « Le premier homme » en est l’illustration. En révélant une part très intime de sa vie personnelle, Albert Camus s’adresse à chacun d’entre nous.

LE TESTAMENT FRANCAIS un roman d’Andreï Makine

Le testament français est un roman  d’Andreï Makine, paru en 1995. Il a été récompensé par trois prix littéraires: le prix Goncourt, le prix Goncourt  des lycéens et le prix Médicis. Andreï Makine a été admis à l’Académie française, en 2016. Russe, né en Sibérie, il est un écrivain de langue française. Dès l’âge de quatre ans, il devient bilingue grâce à une vieille dame française qui s’occupe de lui (Wikipédia). Il a été naturalisé français en 1996.

Le Testament français, roman d’inspiration autobiographique, déploie la puissance de l’imaginaire d’un jeune garçon russe qui écoutant les récits de sa grand-mère française, s’invente une nation d’adoption, la France.

Chaque été, avec sa sœur, le jeune narrateur va passer ses vacances chez sa grand-mère, dans une ville à la bordure des steppes. Chaque été, le même cérémonial se répète. Leur grand-mère, cette femme à la fois cultivée et très humaine, leur raconte des épisodes de la vie en France, au début du vingtième siècle, quand elle était toute jeune. Ses récits, la lecture de poèmes, d’articles de presse, font découvrir à l’enfant, grâce à l’intensité et à la vivacité de son imagination, un pays fabuleux, fantasmé, tellement différent de celui dans lequel il vit.

Parler le français, cette langue, qui lui permet d’exprimer une sensibilité différente d’avec la langue russe, et qu’il ne partage qu’avec sa grand-mère et sa soeur, le remplit également de fierté. La conscience de son appartenance à une double culture russe et française donne au jeune homme, le sentiment aigu de sa différence d’avec ses camarades; c’est à la fois, une richesse et un isolement. 

La force d’évocation du roman nait également de la présence obsédante de la steppe russe et de la peinture des sensations par l’auteur : le tremblement de la steppe, son souffle odorant, la pureté de l’air, le balcon suspendu au dessus de la steppe… La langue d’Andreï Makine, cristalline, peut parfois rappeler celle de Marcel Proust par sa beauté, sa sensibilité, son élégance.

Andreï Makine évoque aussi la solitude de cette française cultivée et généreuse, veuve, perdue dans l’immensité russe, mais respectée de ses voisins et participant à la vie de sa ville. Mariée à un russe qu’elle aimait, elle a connu la seconde guerre mondiale, ses horreurs et les déportations staliniennes.  Le jeune narrateur comprend ce que parler français avec ses petits-enfants, représente pour elle, car ils sont les seuls avec lesquels elle peut encore s’exprimer dans sa langue maternelle.

C’est émouvant pour un lecteur français de savoir que quelque part dans le monde,  un jeune russe rêvait passionnément de la France. Que la France lui apparaissait comme un pays merveilleusement civilisé, pays à la fois de rationalité et de sophistication.

 

L’ENFANT des LUMIERES un roman de Françoise Chandernagor

Roman publié en 1995

Cherchant un livre à lire, j’ai choisi de relire « L’Enfant des Lumières », un roman de Françoise Chandernagor que j’avais bien aimé, il y a longtemps… Françoise Chandernagor est l’inoubliable auteur de « L’Allée du Roi », sublimes mémoires imaginaires de la Marquise de Maintenon.

« L’Enfant des Lumières » est un roman historique qui se situe pendant la deuxième moitié du 18ème siècle.

Roman d’apprentissage, il raconte l’éducation du jeune Alexis, par sa mère, la comtesse de Breyves, repartie vivre sur ses terres dans la province de la Marche, actuel département de la Creuse, après le suicide de son mari, ruiné. Ce dernier a été ruiné parce qu’il a fait confiance à des financiers qui l’ont abusé et est resté fidèle à une conception désuète de l’honneur.

La mère et le fils ont des personnalités aux antipodes l’une de l’autre. La Comtesse de Breyves, est une femme de conviction, très droite, entière, indifférente au paraître et à l’argent. Elle ne cherche pas à plaire ni à séduire. Son fils Alexis, au contraire, est parfaitement à l’aise avec la société de ses semblables quels qu’ils soient et sans distinction de classe. Il sait se faire aimer de chacun, s’accommode d’arrangements avec la vérité et comprend très jeune comment gagner de l’argent. La comtesse veut lui inculquer les principes d’intégrité morale et de rigueur dont il aura besoin pour diriger sa vie d’adulteà venir. En même temps, elle comprend qu’elle ne doit pas aller à l’encontre de la personnalité de son fils, qui si naturellement adapté à la société qui l’entoure, sera mieux armé que son père, pour affronter les mensonges des hommes.

L’action des personnages est solidement ancrée dans la société française des années précédant la révolution: son organisation sociale, son mode de vie, sa façon de penser, le bouillonnement des idées… Au travers du récit, nous découvrons une noblesse parisienne séduite par les idées des « Lumières » qui n’imagine pas qu’elle sera un jour balayée par les événements engendrés par ces mêmes idées; la noblesse pauvre qui vit difficilement du revenu de ses terres et a perdu une grande partie de son influence auprès de la population locale; les paysans qui n’en peuvent plus de l’injustice de la société dans laquelle ils vivent mais dont certains réussissent à s’enrichir…

L’affairisme financier du siècle, le rôle du banquier Necker, l’endettement de l’Etat et les expédients utilisés par ce dernier pour se financer, servent de toile de fond au récit. L’auteur montre également la contrebande intense du sel, entre la province de la Marche, non assujettie à la Gabelle, impôt sur le sel, et le Berry, province limitrophe, assujettie, elle, à la Gabelle. Le commerce des esclaves et les plantations de canne à sucre dans les Antilles font également partie de l’histoire des personnages du roman.

Vous aurez compris qu’il s’agit d’un roman très riche et plein d’érudition comme sait les écrire Françoise Chandernagor. Mais pas seulement. Françoise Chandernagor, sait également trouver les mots pour raconter l’amour entre une mère et son fils, singulièrement dans les dernières pages du roman qui sont bouleversantes.