
Frère d’âme est un roman lyrique et poétique de David Diop, écrivain et enseignant chercheur à l’université de Pau et des pays de l’Adour. Le romancier a passé une partie de son enfance au Sénégal. Frère d’âme a reçu plusieurs prix littéraires dont le prix Goncourt des lycéens en 2018 et le prix international Man-Booker en 2021, dans la traduction anglaise d’Anna Moshovakis. David Diop est le premier écrivain français à recevoir ce prix prestigieux.
Frère d’âme est une histoire d’amitié entre deux tirailleurs sénégalais, amis d’enfance, Alfa Ndiaye et Mademba Diop, soldats de l’armée française, dans les tranchées de la première guerre mondiale. Cette histoire d’amitié est presque une histoire d’amour tant la guerre et la mort unissent encore plus fort les deux amis d’enfance. La première partie du roman raconte la mort de Mademba, « mon plus que frère » comme l’appelle Alfa, et les horreurs de la guerre. Alfa ne se pardonne pas d’avoir laissé son ami Mademba « mourir les yeux pleins de larmes, la main tremblante, occupé à chercher dans la boue du champ de bataille, ses entrailles à l’air ». Alfa aurait dû achever Mademba, comme celui-ci l’en suppliait. Il ne l’a pas achevé car tuer un être humain est contraire « …aux lois humaines, aux lois de nos ancêtres… ». Depuis, Alfa, a compris qu’il devait penser par lui-même et qu’il n’écouterait plus « la voix du devoir, la voix qui ordonne, la voix qui impose la voie ». Cette première partie est la longue plainte d’Alfa, sur la perte de son ami, Mademba, son « plus que frère ». Les phrases ont des tournures naïves, poétiques, un peu archaïques avec l’emploi d’épithètes que l’on pourrait qualifier d’homériques. Alfa nomme toujours Mademba, « mon plus que frère », les soldats allemands « l’ennemi aux yeux bleus » ou « les ennemis aux yeux bleus jumeaux », son père « ce vieil homme ». « Par la vérité de Dieu » débute et scande, tel un leitmotiv, de nombreuses phrases. La lecture de l’inhumanité et de l’injustice de la guerre est parfois lourde à supporter pour le lecteur. D’ailleurs, David Diop, ne discourt pas contre l’inanité de la guerre, la douleur insupportable qui sourd du roman en est une condamnation bien plus radicale.
Pareillement, l’auteur montre mais sans en discourir, les peurs et les incompréhensions, nées des différences de culture et de développement entre les peuples et de leurs méconnaissances mutuelles. Le capitaine français qui flatte et encourage la bravoure du guerrier Alfa est aussi effrayé de sa « sauvagerie », contraire aux règles de la guerre « civilisée ». « L’épaisseur de mon corps, sa force surabondante ne peuvent signifier dans l’esprit des autres que le combat, la lutte, la guerre, la violence et la mort. Mon corps m’accuse à mon corps défendant. Mais pourquoi l’épaisseur de mon corps et sa force surabondante ne pourraient aussi pas signifier aussi la paix, la tranquillité et la sérénité?«
Dans la seconde partie du roman, Alfa est envoyé en permission, à l’arrière, car son comportement, depuis la mort de Mademba, effraie. Comme il ne parle pas français, il dessine, pour communiquer et parler de lui et de sa vie. Le récit de son enfance et de sa jeunesse en Afrique est écrit dans une langue pleine de beauté, comme l’est tout le livre, d’ailleurs. La très jeune mère d’Alfa, a quitté son fils âgé de 9 ans et son vieux mari, pour retrouver son propre père et ses frères qu’elle n’a pas vus depuis deux ans. Elle dépérissait de leur absence. La mère d’Alfa ne reviendra pas au village, certainement enlevée par des cavaliers maures, des négriers. Alors, Mademba demande à sa mère d’adopter son ami Alfa et de l’élever, dans leur maison, comme son propre fils. L’absence de sa mère restera une blessure pour Alfa. A la différence de Mademba, il n’aura pas de facilités à étudier et n’apprendra pas le français. « J’ai compris que le souvenir de ma mère figeait toute la surface de mon esprit, dure comme la carapace d’une tortue. Je sais, j’ai compris qu’il n’y avait sous cette carapace que le vide de l’attente. Par la vérité de Dieu, la place du savoir était déjà prise. »
La toute fin du roman devient un peu elliptique et onirique, Alfa commençant à perdre la raison. Pour conclure, j’aime beaucoup les citations que David Diop met en exergue de son livre:
« Nous nous embrassions par nos noms ». Montaigne, « De l’amitié », Essais, Livre 1
« Qui pense trahit ». Pascal Quignard, Mourir de penser
« Je suis deux voix simultanées. L’une s’éloigne et l’autre croît ». Cheikh Hamidou Kane, L’aventure ambiguë
En choisissant ces citations, l’auteur veut peut-être nous dire que des hommes sont amenés à s’éloigner de la pensée et des valeurs de leurs parents et de leurs grand-parents. Ce faisant, ils ont la tristesse de les trahir, mais en même temps, comme Alfa, ils décident de penser par eux-mêmes et de ne plus obéir à « la voix qui impose la voie ».
Merci Catherine. C’est un très beau livre, très poignant. L’horreur de la guerre y est décrite de façon quasi-insupportable par moment. On ne peut s’empêcher de penser à l’actualité de toutes ces guerres proches ou lointaines.
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Merci Marie-José. Je comprends que tu as lu le livre. C’est vraiment un très beau livre.
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Encore un beau roman que tu nous fais découvrir ! merci
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Merci pour ton commentaire!!! J’y suis très sensible 📖💻🎄
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