

La Dame de Brassempouy
L’Histoire mondiale de la France (2017) est un ouvrage collectif rédigé sous la direction de Patrick Boucheron et la coordination de Nicolas Delalande, Florian Mazel, Yann Potin et Pierre Singaravélou. Patrick Boucheron, agrégé d’histoire, professeur au Collège de France, chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale 13e-16e siècles », est un historien engagé qui revendique « …une conception pluraliste de l’histoire contre le rétrécissement identitaire qui domine aujourd’hui le débat public ».
Son propos est d’écrire « l’histoire d’une France qui s’explique avec le monde » ou bien encore « l’analyse d’un espace donné [la France] dans toute son ampleur géographique et sa profondeur historique ».
L’ouvrage compte 146 courts articles de 4 à 5 pages, écrits par 122 auteurs, sur une période qui court de 34 000 ans avant J-C jusqu’à 2015. Chaque article raconte un épisode de l’histoire de France. Son titre est toujours précédé de l’année de la survenance de l’évènement. Patrick Boucheron a demandé aux auteurs de ne pas s’embarrasser des explications et références qui alourdissent les ouvrages des universitaires et d’écrire un article vif et séduisant. Pour ma part, un peu de références ne m’auraient pas déplu car elles peuvent aider le lecteur un peu novice à mieux comprendre ces évènements dont il n’est pas familier.
Parmi les 146 articles, j’en distinguerai deux :
52 avant J-C Alésia ou le sens de la défaite de Yann Potin,
1270 Saint-Louis nait à Carthage de Florian Mazel.
Pourquoi ces deux-là ? Parce qu’ils illustrent comment le « roman national » français a été construit par les historiens du 19e siècle, pour forger le sentiment d’appartenance des jeunes écoliers français, à leur nation. Et, bien-sûr, ils illustrent puisque c’est l’objet de l’Histoire mondiale de la France, les liens de notre pays, avec le vaste monde environnant.
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Yann Potin explique que Vercingétorix a été sorti de l’oubli, la seconde moitié du 19e siècle, par des historiens et par l’empereur Napoléon III. En fait, la seule source écrite sur la bataille d’Alésia est le récit qu’en a fait Jules César, le vainqueur, dans La Guerre des Gaules. Napoléon III, passionné d’histoire, a écrit une Histoire de Jules César. Il y déclare : « Ainsi tout en honorant la mémoire de Vercingétorix, il ne nous est pas permis de déplorer sa défaite [….]; n’oublions pas que c’est au triomphe des armées romaines qu’est due notre civilisation, institutions, mœurs, langage tout nous vient de la conquête ». Ce raisonnement explique peut-être l’ambigüe exaltation de la défaite de Vercingétorix à Alésia, enseignée à chaque écolier français.
Les civilisations grecques et romaines étaient les modèles parfaits des savants du 19e siècle. Les chefs d’œuvre de ces civilisations sont exposés au Musée du Louvre alors que les antiquités nationales sont reléguées au Musée de Saint-Germain-en-Laye.
En fait, ces dernières décennies, les progrès de l’archéologie ont permis aux historiens de réviser leur jugement sur les gaulois. Ils ont montré que les gaulois n’étaient pas les barbares chevelus et sympathiques que l’on croyait mais des hommes en voie de romanisation en raison des nombreux échanges commerciaux ou diplomatiques existant entre les deux peuples.
Si Napoléon III a surtout voulu voir en la bataille d’Alésia, une heureuse défaite, les historiens de la 3e République feront de Vercingétorix, un héros national, exaltant le sentiment patriotique des français, après la défaite de 1870 contre l’Allemagne. J’ignore comment est actuellement enseignée cette période de l’histoire dans les écoles primaires. J’imagine que les manuels proposent une histoire moins manichéenne et insistent sur l’importance et l’ancienneté des liens déjà créés entre gaulois et romains.
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Saint Louis partit deux fois en croisade. Sa première croisade dura plus de six ans de 1248 à 1254 et il y fut fait prisonnier, pendant un mois. Il mourut de maladie pendant la seconde croisade à Carthage en 1270, deux mois après avoir débarqué en Afrique. Fabien Mazel écrit : « Les deux croisades de Saint Louis sont un laboratoire où la confrontation politique et culturelle mêle au désir irrépressible de conversion un échange bien réel avec les musulmans par la captivité et la négociation ». Et Fabien Mazel avance que malgré lui, sans doute, Saint Louis s’est un peu orientalisé. Selon Geoffroy de Beaulieu, confesseur du roi, Saint Louis a fondé une bibliothèque dans la Sainte-Chapelle, à l’imitation de celle du sultan du Caire qu’il avait vue lors de sa captivité. Saint Louis a également cherché à nouer une alliance auprès du Khan mongol, aux confins de la Chine, contre les puissances islamiques. Dans tous les cas, l’absence du roi de son royaume est une expérience inédite. Aucun roi de France n’est resté si longtemps hors de son royaume. Et il est le seul à mourir « en martyr » en dehors du territoire, en terre « infidèle ».
Fabien Mazel constate que dès les années 1280, malgré les échecs militaires et diplomatiques de Saint-Louis, sa double aventure orientale lui vaut une renommée singulière voire mondiale.
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Au final, le choix éditorial de consacrer un court article (4-5 pages) à chaque évènement historique, oblige les auteurs à synthétiser leur analyse. De fait, ces brefs articles, sortes de coups de projecteurs sont une formidable invitation pour le lecteur à poursuivre sa découverte de l’histoire (mondiale) de France, au travers d’autres sources.
J’ai mis en exergue une photo de la « Dame de Brassempouy » à laquelle un article de l’ouvrage est consacré. C’est la plus ancienne représentation conservée au monde d’un visage humain sculpté, vieille de 23 000 ans avant J-C, découverte à Brassempouy, dans les Landes en 1894 et tellement émouvante…